Fritz Alphonse Jean, ancien Premier ministre et actuel président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), lors de son engagement dans l’accord de Montana (Photo VOA, domaine public).
Un président qui désavoue sa propre présidence : voilà le théâtre politique qui se joue au cœur du pouvoir transitoire haïtien. Fritz Alphonse Jean, figure censée incarner l’éthique et l’équilibre, rejette publiquement une note émanant de son propre Conseil. Pressions, menaces, contradictions internes : ce nouvel épisode ne fait que creuser le malaise d’un système qui prétend rompre avec le passé, tout en reproduisant ses vieux réflexes. Peut-on dénoncer sans se désengager ? Ou sommes-nous face à une transition qui a déjà perdu son cap ?
Depuis quelques jours, une nouvelle tension secoue le sommet de l’État haïtien. Fritz Alphonse Jean, président en exercice du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), a publiquement désavoué une note officielle publiée par le Bureau de communication de la Présidence au sujet d’un contrat controversé avec la Caribbean Port Services (CPS). Ce geste, inhabituel venant du plus haut représentant de l’organe exécutif collégial, soulève de sérieuses questions sur le fonctionnement interne du CPT, la légitimité des décisions prises, et la sincérité des intentions affichées par ses membres dans ce contexte de transition nationale. Entre dissociation morale et responsabilités politiques partagées, ce désaveu révèle un malaise structurel plus profond. Mais peut-on vraiment désavouer un système dont on est l’un des piliers ?
La note en question, publiée le 4 août 2025, annonçait un avenant au contrat entre l’État haïtien et la compagnie CPS, portant la durée du bail de 9 à 27 ans. Cette communication laissait croire à une validation officielle et unanime. Pourtant, moins de 24 heures plus tard, Fritz Alphonse Jean prend la parole pour s’y opposer. Dans un communiqué cinglant, il affirme n’avoir jamais approuvé ce document et dénonce des pressions internes visant à imposer sa diffusion. Il évoque même des menaces proférées contre un cadre de son propre bureau. Il réclame désormais une suspension du processus et la saisine de la Cour supérieure des comptes pour obtenir un avis légal. Cette réaction soulève une interrogation essentielle : comment une telle note a-t-elle pu être publiée sans validation présidentielle ? Qui tire réellement les ficelles au sein du CPT ?
Ce désaveu n’est pas un simple accroc dans la communication gouvernementale. Il révèle des tensions profondes au sein du CPT, un organe pourtant censé fonctionner de manière collégiale. On découvre un Conseil où des décisions importantes semblent prises unilatéralement, et où l'opacité règne. Certains membres agiraient-ils dans l’ombre pour faire avancer des intérêts personnels ou partisans ? Le climat décrit par Fritz Jean, fait de pression, de manipulation et de menaces, est incompatible avec l’image d’une gouvernance de rupture. Alors, le CPT incarne-t-il réellement une transition ou bien une continuité sous d'autres formes ?
Il convient toutefois de rappeler que Fritz Alphonse Jean ne peut se positionner uniquement en dénonciateur. Il est président de l’organe qu’il critique. Ce paradoxe interroge. Peut-on se poser en gardien de l’éthique publique tout en présidant un espace miné par les conflits d’intérêts ? Jusqu’où peut-on se dissocier de décisions que l’on est censé contrôler ? La stratégie du président du CPT consiste-t-elle à se protéger politiquement ou à sonner une véritable alerte réformatrice ? Est-il encore possible d’être intègre sans se retirer d’un système compromis ?
En conclusion, le désaveu de Fritz Alphonse Jean ne se limite pas à une question de contrat mal géré ; il révèle une fissure politique et morale au cœur même du pouvoir de transition. Il confirme que le Conseil Présidentiel de Transition est traversé par des logiques de méfiance, de duplicité et de conflits internes. Dans un contexte aussi fragile, chaque geste public devient un révélateur. Mais ce moment d’éclat pourrait-il aussi marquer une opportunité ? Celle de clarifier les lignes de responsabilité, de restaurer l’éthique dans l’action publique, et de montrer qu’une autre façon de gouverner est encore possible. Ou alors faut-il conclure que même ceux qui dénoncent finissent toujours par pactiser avec ce qu’ils prétendent combattre ?