Cette semaine, l’actualité haïtienne a été marquée par une série de tensions dans les domaines de la justice, de la sécurité, de la politique et de l’économie. Corruption au Parquet, violence armée, ambitions présidentielles et alertes sur les flux financiers illicites témoignent d’un pays en crise multiple. Entre dérives institutionnelles et tentatives de redressement, Haïti oscille entre incertitude et résistance.
JUSTICE
Soupçons de corruption au Parquet de Port-au-Prince : Dans un communiqué publié récemment, l’Organisation des Citoyens pour une Nouvelle Haïti (OCNH) alerte sur de graves soupçons de corruption pesant sur le Parquet de Port-au-Prince et appelle à l’ouverture d’une enquête indépendante pour en mesurer la portée. Cette dénonciation intervient dans un climat de perte de confiance généralisée envers l’appareil judiciaire haïtien, où les accusations répétées d’impunité et de clientélisme sapent l’autorité des magistrats. La demande de l’OCNH s’ajoute aux multiples mobilisations d’avocats, dont une manifestation marquante tenue le lundi 21 juillet 2025, visant à dénoncer les dérives présumées du commissaire du gouvernement Monclaire.
Affaire Boulos : entre justice américaine et haïtienne : Le 31 juillet 2025, un juge fédéral de l’immigration à Miami a rejeté la demande de libération conditionnelle de Pierre Réginald Boulos, lors d’une audience tenue au centre de détention Krome, sous l’autorité de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE). Accusé par l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) de corruption, de fraude bancaire et de soutien à des groupes armés en Haïti, l’homme d’affaires restera en détention en attendant une décision définitive sur son éventuelle expulsion. L’ULCC a d’ores et déjà fait savoir qu’elle était prête à le traduire en justice dès son retour au pays. Cette affaire met en lumière la complexité des interactions entre juridictions américaine et haïtienne, tout en ravivant les débats sur l’impunité des élites politico-économiques et le rôle des réseaux transnationaux dans la crise haïtienne.
Reprise partielle des assises criminelles aux Cayes : Le 28 juillet 2025, après sept ans d’interruption, le Tribunal civil des Cayes a repris les assises criminelles sans assistance de jury, selon une note du ministère de la Justice. Si cette décision vise à désengorger les dossiers criminels en attente, elle soulève des inquiétudes sur le respect des garanties procédurales, notamment l’absence d’un jury populaire, perçue comme une entorse aux principes démocratiques.
SECURITE/CRIMINALITE
Violences meurtrières à Gracien, route de Frères : Selon des témoignages recueillis par la presse locale, de violents affrontements armés ont récemment poussé les habitants de Gracien, sur la route de Frères, à abandonner une nouvelle fois leur quartier. L’incapacité persistante de la Police nationale d’Haïti (PNH) à rétablir l’ordre dans cette zone périurbaine illustre l’expansion continue de l’influence des gangs en dehors du centre de Port-au-Prince. Ces vagues de déplacements contraints alimentent la crise humanitaire nationale et renforcent l’exode interne, dans un climat d’insécurité généralisée.
Saisie de stupéfiants au Cap-Haïtien : Lors d’une opération d’envergure menée dans la nuit du 27 au 28 juillet 2025 à Petit-Anse, les autorités haïtiennes ont porté un coup significatif au trafic de stupéfiants dans le nord du pays. Sous la coordination de la Brigade de Lutte contre le Trafic de Stupéfiants (BLTS), appuyée par plusieurs unités spécialisées, plus de 425 kilos de marijuana ont été découverts dans une habitation du quartier. Trois individus ont été arrêtés sur place. Cette intervention souligne l’ampleur inquiétante des activités de narcotrafic dans la région et a ouvert la voie à une enquête approfondie.
Drone sous-marin intercepté au port de Miragoâne: Le mercredi 23 juillet 2025, un événement pour le moins inhabituel a attiré l’attention des autorités haïtiennes au port de Miragoâne : les agents de la douane ont saisi un drone sous-marin de haute technologie dissimulé à bord d’un navire marchand étranger. L’appareil, non déclaré lors des procédures d’importation, ne disposait d’aucune documentation légale justifiant son entrée sur le territoire. Son niveau de sophistication soulève des interrogations sur sa provenance, sa destination et son usage potentiel dans un contexte régional marqué par le trafic illicite et l’insécurité maritime.
POLITIQUE/GOUVERNANCE
André Michel candidat à la présidentielle : Le 27 juillet, André Michel a annoncé sa candidature à la présidence, peu après s’être vu refuser l’embarquement sur un vol Cap-Haïtien–Miami. Il a déclaré vouloir axer son projet sur la sécurité, le développement et la souveraineté nationale, promettant d’éliminer les bandes armées. Selon une source, le refus d’accès au vol serait lié à une décision du service américain des douanes (CBP), sans explication officielle. Une source chez Sunrise Airways a confirmé l’incident tout en niant toute implication de la compagnie
Privert met en garde contre un avant-projet imposé: Dans une interview accordée le 28 juillet 2025, l’ancien président Jocelerme Privert a mis en garde contre les risques d’instabilité que ferait peser l’imposition unilatérale de l’avant-projet de Constitution, particulièrement sensible dans le contexte des 110 ans de l’Occupation américaine. Selon lui, une telle démarche, sans consensus national, pourrait raviver les tensions politiques et compromettre la transition. Ce rappel historique souligne l’importance de la légitimité populaire dans toute réforme constitutionnelle durable.
Un remaniement ministériel sous haute surveillance politique : Un important remaniement ministériel est en préparation en Haïti, marqué par le départ annoncé de plusieurs ministres influents, dont ceux de l’Éducation, de l’Intérieur, des Affaires sociales, de la Planification et des Affaires étrangères. Présenté comme un effort pour constituer une équipe « plus représentative », ce changement soulève néanmoins des interrogations sur les critères de représentativité et sur la vision politique réelle qui le sous-tend. Tandis que des ministères clés comme la Justice, les Finances ou l’Agriculture restent inchangés — signe apparent de continuité —, la future équipe devra faire face à une triple urgence : relancer l’économie, rétablir la sécurité et organiser des élections crédibles. Dans un contexte national tendu, ce remaniement sera évalué non sur ses promesses, mais sur sa capacité à produire des résultats concrets.
ECONOMIE
BRH mise sur les MPME : La semaine écoulée, dans un discours officiel, la Banque de la République d’Haïti (BRH) a réaffirmé son engagement à soutenir les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) comme levier d’une économie plus inclusive. Cette orientation, bien que positive, se heurte à la rareté du crédit productif et à l’instabilité politique qui dissuadent les investissements privés.
Alerte sur les transferts et paiements illicites: Le 29 juillet 2025, la BRH a publié un rapport signalant une augmentation préoccupante des transferts non déclarés et des paiements suspects dans le système financier. Cette dérive fragilise la crédibilité du secteur bancaire et expose le pays à des sanctions internationales. Elle souligne aussi la porosité entre flux licites et réseaux criminels.
RELATIONS INTERNATIONALES
L’OEA propose une feuille de route de 1,3 milliard USD pour la paix: Le 1er août 2025, lors d’une réunion du Groupe des amis d’Haïti à Washington, le Secrétaire général de l’OEA, Albert Ramdin, a présenté un projet préliminaire de feuille de route estimé à plus de 1,3 milliard de dollars américains. Élaboré en collaboration avec les autorités haïtiennes, le BINUH et la Mission multinationale d’appui à la sécurité, ce plan d’action vise à répondre aux urgences humanitaires, sécuritaires, politiques et électorales du pays. Il repose sur cinq axes stratégiques, dont une enveloppe de 908,2 millions de dollars pour l’aide humanitaire et 96 millions pour la stabilisation de la sécurité. L’OEA insiste sur la nécessité d’une stratégie unifiée, portée par les Haïtiens eux-mêmes, afin de garantir une coopération internationale cohérente et des résultats concrets pour la population.
Soutien réaffirmé de Washington au pouvoir intérimaire haïtien :Dans une déclaration publiée le vendredi 1er août 2025, le Bureau des Affaires de l’hémisphère occidental du département d’État américain a renouvelé le soutien des États-Unis à l’autorité intérimaire en place en Haïti. Washington souligne l’importance de la stabilité institutionnelle dans un contexte de transition délicate. Toutefois, le communiqué met en garde contre des manœuvres de corruption susceptibles de compromettre les efforts en cours et de renforcer l’instabilité. Ce message clair vise à dissuader toute tentative de sabotage politique tout en réaffirmant l’engagement des États-Unis aux côtés du peuple haïtien.
Cette semaine encore, Haïti se débat sur plusieurs fronts : une insécurité qui s’intensifie, une justice en perte de légitimité, des ambitions politiques qui émergent dans le flou, et une économie fragilisée par des flux financiers opaques. Chaque fait marquant n’est pas un simple événement isolé, mais le symptôme d’un effritement institutionnel plus profond. Dès lors, une question s’impose : le pays dispose-t-il encore de la volonté collective nécessaire pour redresser la barre, ou glisse-t-il vers un effacement progressif de l’État et de l’espoir citoyen ?