Le tableau d’affichage dit tout : Honduras 3 – Haïti 0. Mais derrière le score, la question demeure : qui a vraiment perdu ? La sélection nationale ou bien un État qui ne croit plus en sa jeunesse ? Dans un pays où les budgets se décident comme des faveurs, où le sport n’est qu’un décor politique, la défaite dépasse le terrain. Elle reflète le naufrage d’un système qui ne mise ni sur la fierté ni sur la construction du long terme.
Pourtant, les Grenadiers ont connu un parcours solide jusque-là. Ils ont affiché une belle constance, un esprit collectif et un niveau de jeu salué dans plusieurs rencontres internationales. Plusieurs joueurs évoluant à l’étranger ont réalisé une excellente saison, témoignant du talent et de la détermination de cette génération. Plusieurs observateurs voyaient en Haïti un outsider ambitieux, capable de créer la surprise face au Honduras, même si la majorité des pronostics penchaient plutôt du côté adverse. Le résultat final ne traduit donc pas un manque de compétence individuelle, mais plutôt le poids d’une préparation entravée par la négligence politique. Car comment exiger la victoire d’une sélection qui porte sur ses épaules les carences d’un État absent, les retards logistiques, l’instabilité et l’absence de soutien psychologique ?
Chaque année, Haïti dépense plus de 300 milliards de gourdes, mais la Jeunesse et les Sports n’en reçoivent que 1,58 milliard, soit moins de 0,5 % du budget national. À l’inverse, les dépenses sécuritaires atteignent près de 9,5 milliards, presque six fois plus. Ce déséquilibre illustre une politique qui préfère la peur à la fierté. Car le sport n’est pas qu’un jeu : c’est une école de discipline, de cohésion et d’espoir. En le négligeant, l’État renonce à un outil essentiel de reconstruction sociale.
Sur la pelouse comme dans la société, les erreurs ne sont pas individuelles : elles sont systémiques. Le manque de moyens, de planification et de soutien technique traduit l’absence d’encadrement et de vision. Ce que les Grenadiers vivent sur le terrain, c’est ce que la jeunesse haïtienne endure chaque jour : du talent, du courage, mais aucun appui structuré. Et si l’on dirigeait le pays comme une équipe nationale, avec un plan de jeu, de la discipline et des objectifs mesurables ?
En août 2025, le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé a remis, devant les caméras, un chèque de cent millions de gourdes à la Fédération haïtienne de football. Un geste fort en symboles, mais aussi en capital politique : plus proche d’un show médiatique que d’une véritable politique sportive. L’événement a suscité de grands espoirs, mais peu d’éléments concrets permettent d’en mesurer les retombées réelles. Le Comité Olympique Haïtien, de son côté, n’a reçu qu’une fraction du budget promis pour Paris 2024. Nos athlètes continuent à voyager avec plus de courage que de moyens, souvent contraints de s’entraîner à l’étranger.
Et pourtant, Haïti n’a pas perdu. Car la défaite n’est pas dans le score, mais dans la résignation. Les Grenadiers, eux, sont restés debout, dignes et combatifs. Ils sont les héros d’un pays qui doute, mais qui espère encore. Tant que des joueurs chanteront l’hymne, que des supporters rêveront et que des enfants espéreront porter le maillot national, la flamme restera vivante. Mais la patience a ses limites : un pays qui n’investit pas dans ses forces morales finit par perdre son âme. Là où l’on ne finance pas le rêve, on prépare l’exil.
Haïti doit désormais considérer le sport comme un véritable levier de reconstruction sociale. Il ne s’agit plus de célébrer les victoires passagères, mais d’investir durablement dans la jeunesse, dans les infrastructures, dans la formation et dans la fierté nationale. Le sport peut devenir une politique d’unité, de santé publique, d’éducation et de dignité. Ignorer ce potentiel, c’est refuser l’avenir. Pour aller plus loin, découvrez l’e-book “Le sport comme levier de reconstruction sociale en Haïti” d’Anba Kayimit, une réflexion engagée sur la manière dont le sport peut transformer le pays, retisser le lien social et inspirer la renaissance nationale.