Quand le système s’offre des largesses
La douane a récemment annoncé avoir versé des milliards de
gourdes dans les caisses de l’État. À première vue, cela pourrait sembler une
bonne nouvelle : enfin, l’État récolterait des ressources pour investir dans
les services publics. Mais la réalité est toute autre pour la majorité de la
population. Derrière les chiffres triomphants, des milliers de petits
commerçants, d’importateurs et de consommateurs continuent de se plaindre des
tracasseries douanières et des taxes exorbitantes. Les coûts officiels, ajoutés
aux paiements occultes, grignotent leurs économies et fragilisent un tissu
économique déjà épuisé. Ce contraste est saisissant : d’un côté, l’État se
vante de ses recettes record ; de l’autre, la population ploie sous le poids
d’un système qui lui prend plus qu’il ne lui donne.
La clé de compréhension de cette contradiction se résume en
un seul mot : le système. Lequel système invisible mais omniprésent, qui
s’apparente à une grande table garnie de gâteaux. Autour de cette table, un
petit groupe d’enfants gâtés dévore les douceurs, tandis que des milliers
d’autres, affamés, les observent le ventre vide, sans même espérer une miette
de pain. Le système, ce n’est pas un individu, ni même un clan isolé. C’est un
réseau complexe où se croisent les grandes familles qui contrôlent le ciment,
le port, l’énergie ; les politiciens qui votent des lois sur mesure ; les juges
et hauts fonctionnaires qui ferment les yeux sur les abus ; et les entreprises
privées qui utilisent l’État comme pompe à profits. Rien dans ce système n’est
accidentel : il est conçu comme une machine parfaitement huilée, destinée à
concentrer les richesses et à maintenir la majorité dans la pauvreté. C’est une
toile d’araignée : on peut chercher le centre, on ne le trouve jamais, car tout
est enchevêtré comme un plat de spaghettis.
Loin de s’essouffler, le système se renouvelle et se
perfectionne. L’exemple le plus récent est celui du contrat du Port de
Port-au-Prince. Accordé à un groupe privé jusqu’en 2059, il garantit à l’État
seulement 15 dollars sur chaque conteneur de 1 000 dollars. Autrement dit,
l’essentiel des bénéfices s’évapore dans des poches privées, tandis que l’État
se contente d’une obole. En août 2025, le débat a resurgi au sein du Conseil
Présidentiel de Transition. Fritz Alphonse Jean, alors président provisoire du CPT,
a dénoncé la modification d’un document qui allongeait la concession de 9 à 27
ans. Ce contrat, signé sans appel d’offres ni validation de la Cour des
comptes, illustre parfaitement la logique du système : des accords à long
terme, opaques, qui hypothèquent la souveraineté économique du pays.
Pendant que l’élite se partage les richesses, la majorité du peuple lutte chaque jour pour survivre : trouver de l’eau, de la nourriture, un petit travail. Trop souvent, les révoltes populaires se sont traduites par des soulèvements violents, des manifestations où la colère s’exprime par le feu et les pierres. Mais le système, lui, sait encaisser ces coups. Pire encore, il les utilise comme prétexte pour renforcer son contrôle et diviser la population. Voilà pourquoi il est urgent d’inventer d’autres formes de lutte.
Tout n’est pas perdu. L’expérience du mouvement Kot Kòb PetroCaribe a ? a montré qu’une mobilisation citoyenne, pacifique et inventive pouvait fragiliser le système en imposant la question de la reddition des comptes. Cet exemple doit nous inspirer. Pour avancer, nous avons besoin de pétitions, de sondages, d’enquêtes, de cahiers de revendications, d’une mobilisation citoyenne organisée. Ce sont ces armes non-violentes, mais puissantes, qui peuvent unir nos voix dispersées et contraindre enfin le système à répondre.
Pèp k ap lite, pa janm pèdi batay
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