Entre rêve et responsabilité, le jeune joueur haïtien se retrouve pris au piège.
Le départ de Théodor Djuny Junior, membre de la sélection nationale U17, résonne bien au-delà du football. En refusant de rentrer en Haïti après le Mondial U17, il a déclaré : « Retourner en Haïti serait comme un échec ». Ces mots, lourds de sens, révèlent une double fracture — celle du pays et celle de ses enfants. Ce geste controversé traduit un double dilemme : celui d’un jeune pris entre le rêve de représenter son drapeau et la peur de replonger dans une réalité sans issue. Haïti, incapable de transformer le talent en carrière, pousse ses fils à l’exil — physique, lorsqu’ils quittent la terre natale, et intérieur, lorsqu’ils cessent d’espérer en elle. Ainsi, le geste de Théodor n’est pas une trahison, mais le cri silencieux d’un jeune homme qui refuse d’échouer là où son pays refuse de grandir.
Pourtant, il faut rappeler que, pour un jeune joueur, représenter le drapeau haïtien sur la scène mondiale est un honneur rare. Mais derrière cette fierté, se cache une autre réalité : celle d’un pays sans infrastructures sportives solides, sans garantie d’avenir pour ses athlètes, sans politique claire d’encadrement. Dans ces conditions, rentrer au pays, c’est souvent revenir à la précarité — voire à l’oubli. Le jeune Théodor a préféré l’inconfort de l’incertitude à l’étranger à la certitude du découragement chez lui. Ce choix, tragique mais compréhensible, est devenu le reflet d’une génération entière.
En effet, être professionnel ne consiste pas seulement à savoir dribbler ou marquer. C’est aussi comprendre la discipline, la gestion de carrière, le respect du maillot, la notion d’engagement collectif. Or, en Haïti, tout cela s’effrite. Les joueurs grandissent dans un contexte où le ballon devient un passeport, pas un projet collectif. Le but n’est plus la gloire nationale, mais l’évasion personnelle : sortir du pays, décrocher un contrat, fuir la misère. Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est de la survie.
Cependant, abandonner la délégation, c’est aussi tourner le dos à un symbole collectif. Derrière lui, Théodor laisse des coéquipiers, un staff, un drapeau. Beaucoup y voient une trahison. Mais, au fond, peut-on reprocher à un adolescent de chercher un futur que son pays ne lui offre pas ? Son geste choque parce qu’il met en lumière un non-dit : la nation ne protège plus suffisamment ses jeunes talents. Haïti forme, mais ne retient pas. Elle inspire, mais ne soutient pas. Elle demande la loyauté sans offrir la sécurité.
Ainsi, ce qu’il faut comprendre à travers ce départ n’est pas une simple désertion sportive ; c’est un symptôme social, un miroir de notre société. Dans l’éducation, la santé, la culture — partout — la jeunesse haïtienne se heurte au même mur : celui de l’absence de perspectives. Le football devient alors une métaphore : courir pour fuir, jouer pour s’en sortir, marquer pour exister. Et dans ce contexte, partir devient parfois la seule victoire possible.
Dès lors, il faut reconnaître que Théodor Djuny Junior a posé un geste controversé, certes, mais profondément humain. Il nous renvoie une question dérangeante : qu’offrons-nous à nos jeunes pour qu’ils aient envie de revenir ? Avant de juger ceux qui partent, il faudrait reconstruire un pays où le retour ne soit plus perçu comme un échec. C’est précisément à ce niveau que prend tout son sens l’éclairage de l’e-book publié par les Éditions Anba Kayimit, intitulé « Le sport comme levier de transformation sociale ». L’ouvrage rappelle que le sport n’est pas qu’un divertissement : il est un outil d’éducation, de cohésion et de reconstruction. Dans un pays où les institutions chancellent, le sport peut enseigner la discipline, la solidarité, le respect, la persévérance. Il peut devenir un espace de réconciliation nationale — un terrain où l’on apprend à jouer ensemble malgré nos différences.