Cette semaine, du 5 au 11 octobre 2025, Haïti s’est encore tenue à la croisée de ses paradoxes : un pays qui cherche la stabilité tout en affrontant le tumulte. Derrière les communiqués et les notes officielles, la rue, elle, continue de parler un autre langage — celui de la peur, de la survie, mais aussi de la résistance.
Dans un tel contexte, rester éveillé devient un acte citoyen. Voici la synthèse d’une semaine où les mots du pouvoir et la réalité du peuple se sont souvent croisés sans se rencontrer.
POLITIQUE ET GOUVERNANCE
Le bluff de la pacification du centre de Port-au-Prince : Le 9 octobre 2025, un Conseil des ministres s’est tenu au Palais national sous la présidence de Leslie Voltaire, alors que la veille encore, des tirs nourris secouaient les abords du Champ-de-Mars. La note de la Présidence parlait d’un “climat de sérénité”, mais les habitants du centre-ville vivaient une autre vérité. Entre discours et terrain, la fracture est flagrante. La “pacification” annoncée devient un miroir déformant d’un État qui peine à reconquérir son propre cœur.
Adoption du budget 2025–2026 : Le 9 octobre 2025, le gouvernement de transition a adopté un budget de 345 milliards de gourdes, présenté comme un levier de relance autour de trois priorités : sécurité, éducation et élections. Ce signal politique fort se veut rassurant, mais la population reste prudente. Sans transparence ni contrôle citoyen, ce budget risque de devenir une promesse de plus dans un pays où la confiance institutionnelle s’effrite à chaque cycle.
Abandon du projet de nouvelle Constitution : Au cours de la semaine, les autorités ont annoncé l’abandon officiel du projet de nouvelle Constitution, initialement présenté comme une refondation nationale. Cette décision, survenue dans un contexte de pressions diplomatiques, recentre la transition sur des enjeux plus urgents : sécurité, gouvernance et calendrier électoral. Mais elle laisse aussi un vide symbolique : celui d’un rêve de refondation mis entre parenthèses.
ÉCONOMIE ET FINANCE
Les exportations dominicaines vers Haïti explosent malgré la crise : ‘Entre janvier et août 2025, les exportations dominicaines vers Haïti ont augmenté de 32,3 %, atteignant 775,8 millions de dollars américains. Ce paradoxe révèle une dépendance économique alarmante : alors que la production locale recule sous l’effet de l’insécurité, Haïti importe toujours plus, surtout du ciment, du fer et de l’huile de soja. Cette tendance creuse un fossé dangereux entre le discours de souveraineté et la réalité économique du pays.
Blocage des produits locaux: Les agriculteurs et transporteurs dénoncent des barrages, enlèvements et zones inaccessibles qui perturbent les circuits de distribution. Si les importations se maintiennent, la production locale s’effondre. Le marché haïtien devient une vitrine de consommation importée, sans base productive réelle. Une économie sans racine ne nourrit ni dignité ni stabilité.
INSÉCURITÉ
Nuit de terreur à Turgeau : Dans la nuit du 6 octobre 2025, une opération armée a secoué Turgeau et ses environs. Des hommes lourdement armés ont traversé plusieurs quartiers, provoquant panique et affrontements. Cette violence, aux portes des institutions, montre que Port-au-Prince reste sous siège symbolique. Aucun quartier n’est un sanctuaire : la peur s’installe comme norme.
Affrontements autour du Palais national : Le 8 octobre 2025, alors que les ministres se réunissaient, des échanges de tirs ont éclaté près du Champ-de-Mars. L’image est forte : le pouvoir central encerclé par l’insécurité qu’il prétend combattre. Le symbole du Palais devient celui d’un État assiégé — visible, mais impuissant.
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ
5,7 millions d’Haïtiens en situation d;insécurité alimentaire : Une récente analyse du Cadre Intégré de Classification (IPC) révèle que près de la moitié de la population vit une insécurité alimentaire sévère. Derrière ces chiffres, il y a des familles, des enfants, des agriculteurs privés de terres ou de routes. L’urgence humanitaire ne peut plus être dissociée d’une stratégie de production et de souveraineté alimentaire.
UNNOH pronostique le chaos du système éducatif : Le 5 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants, l’Union nationale des normaliens et normaliennes d’Haïti a dénoncé un “chaos planifié” dans la gestion de l’éducation. L’organisation pointe la responsabilité directe de l’État dans l’effondrement du système scolaire. Une dénonciation qui sonne comme un cri de détresse, mais aussi un appel à la mobilisation nationale.
CULTURE
Woodly Caymitte décoré de la Médaille de Vermeil à Paris : Le 11 octobre 2025, le sculpteur Woodly “Filipo” Caymitte a reçu à Paris la Médaille de Vermeil décernée par la Société Académique des Arts, Sciences et Lettres. Cette distinction célèbre non seulement l’artiste, mais aussi la persévérance culturelle haïtienne. Dans le tumulte politique, la culture reste un acte de résistance, un souffle d’honneur.
Haïti célébrée à l’Exposition universelle Osaka-Kansai 2025 : Le 11 octobre, le pavillon haïtien a brillé à Osaka, lors d’une journée spéciale consacrée à la créativité et au patrimoine du pays. Loin des crises, cette présence rappelle que la fierté nationale peut encore s’exprimer autrement que par la douleur.
JUSTICE
Une rentrée judiciaire inquiétante : Le 6 octobre 2025, la Cour de cassation a inauguré l’année judiciaire 2025–2026. Le président du CSPJ a dressé un bilan sévère du système, pendant que le Premier ministre annonçait la construction de trois nouvelles prisons. L’écart entre les ambitions et la réalité demeure immense : sans confiance, il n’y aura pas de justice durable.
La ministre du MJSAC répond à l’ULCC sur les réseaux sociaux : Cette semaine, l’ULCC a accusé la ministre du MJSAC de malversations dans la gestion de fonds publics. Au lieu d’un débat institutionnel, c’est sur les réseaux sociaux que la riposte s’est jouée. La justice haïtienne, déjà fragilisée, voit son autorité minée par la communication instantanée et l’absence de reddition de comptes claire.
DIPLOMATIE
Laurent Saint-Cyr garde le mème tempo : Le 6 octobre 2025, le président du CPT, Laurent Saint-Cyr, a entamé une tournée à Miami, avant de se rendre au Japon et aux États-Unis. Objectif : renouer avec la diaspora et calmer les pressions internationales sur le calendrier électoral. Cette diplomatie en mouvement cherche à redonner souffle à une transition en quête de légitimité.
Cette semaine, les signes d’une transition fragilisée s’accumulent : des promesses de réforme qui s’effritent, une économie sous perfusion extérieure, et un État qui parle plus qu’il n’agit. Le pouvoir multiplie les annonces, mais la rue continue d’être le véritable baromètre du pays.
Entre stratégies de communication et réalités sociales, la distance s’élargit. Haïti n’a pas besoin de nouvelles déclarations : il a besoin d’actes mesurables, de cohérence et de courage politique. C’est sur ce terrain-là que la confiance nationale se jouera — ou se perdra encore une fois.